Discours lu à la cérémonie du TDoR le 19 novembre 2022 au Miroir d'eau à Nantes
Nous nous réunissons aujourd'hui comme tous les ans, pour célébrer la mémoire des personnes trans assassinées ou s’étant suicidées à travers le monde durant l’année écoulée.
Lors du dernier TDoR, nous annoncions 408 victimes recensées par la presse. Avec les ajouts a posteriori, leur nombre s’élève finalement à 473.
Cette année, entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022, au moins 390 noms viennent s'ajouter à cette liste déjà bien trop longue. Iels avaient entre 10 et 59 ans, pour ciels dont on connaît l’âge. Parmi les 12 mineur-e-s, la plupart se sont suicidé-e-s.
Les années se suivent et se ressemblent. Nous pourrions citer notre discours de l’année dernière dans lequel nous indiquions que “comme toujours, la majorité de nos adelphes disparu-e-s étaient des femmes [au moins 87%], racisées, pour beaucoup travailleuses du sexe. Pour les ¾, il s’agit de crimes violents. S’y ajoutent les nombreux suicides, les décès dus au COVID et aux mauvaises prises en charge médicales, ainsi que les décès en détention”.
Nous notons notamment que 10% des meurtres sont commis par le conjoint ou ex-conjoint…
Les transféminicides sont une réalité. Il serait temps de ne plus les occulter.
Parfois, ce sont même les parents qui tuent leur enfant, comme pour Kathryn Newhouse, états-unienne de 19 ans, autiste, abattue par son père…ou Akshitha, indienne de 20 ans, battue à mort par sa famille car elle s’opposait à subir une thérapie de conversion…
Comme l’an passé, le Brésil, les USA et le Mexique cumulent près de 60% de l’ensemble des victimes. La France se trouve en 10e position parmi les 40 pays concernés.
Nous dénombrons en effet 7 victimes en France. Nous souhaitons ce soir adresser nos pensées à leurs proches et célébrer leur mémoire :
Tal Piertbraut-Merx, 29 ans, militant trans antiraciste qui s’est suicidé le 25 octobre 2021 à Paris
Beatriz Souza / Bastos, 38 ans, assassinée le 7 février 2022 à Paris d’une overdose criminelle. Son assassin l’a filmée en train de mourir…
Adrien Baptiste Luckas, la vingtaine, qui s’est suicidé le 1er mars 2022 à Nice. Nous avons une pensée particulière envers ce jeune homme qui nous avait contacté car il s’inquiétait pour un ami trans en crise suicidaire que nous accompagnions également. Nous lui avions partagé quelques conseils et proposé du soutien pour lui aussi, sachant qu’il est difficile d’accompagner un proche suicidaire. Il nous a assuré que tout allait bien. Nous avons appris son décès par l’ami en question…
Gwenn Agathe Linski, 27 ans, qui s’est suicidée le 2 mars 2022 à Toulouse…
Mirza-Hélène Deneuve (“Julles”), 26 ans, militante trans et fondatrice du site transgrrrrls, qui s’est suicidée le 28 mars 2022 au Havre.
Katsumi, 15 ans, qui s’est suicidé le 13 mai 2022, la veille de la Pride d’Angers, au Mans en se défenestrant à son lycée. Il envisageait de faire son coming-out à sa maman et était plutôt confiant…
Une femme trans de 39 ans, travailleuse du sexe racisée, assassinée le 11 août 2022 à Paris.
Nous souhaitons également avoir une pensée pour les victimes de l’an passé qui n’avaient pas encore été recensées lors de la cérémonie 2021 :
Samuel Boutry, 20 ans, jeune homme autiste qui s’est suicidé le 22 septembre 2021 à Montauban
Jay Hoarau, 16 ans, qui s’est suicidé le 3 septembre 2021 à Saint-Denis, à la Réunion, après des années de harcèlement
Sté, qui s’est suicidé le 9 mars 2021, à Rennes…
Nous ne vous oublions pas. Vous, et toustes les autres.
En ce jour du Souvenir Trans, nous sommes comme chaque fois profondément endeuillé-e-s. Ces décès ne sont malheureusement que la partie émergée de l’iceberg. Ils sont la conséquence la plus extrême de la transphobie qui fait partie de nos vies, qui nous impacte directement et indirectement et qui réduit sensiblement notre durée de vie, d’autant plus pour ciels d’entre nous qui sont également non-hétéro, racisé-e-s, handi-e-s, précaires…
Dernièrement, nous constatons une déferlante inquiétante de discours transphobes, une parole de plus en plus banalisée et médiatisée. La mouvance TERF, ces personnes transphobes qui se revendiquent du féminisme et dont les liens avec l’extrême-droite, les groupuscules homophobes et racistes sont avérés, diffuse en continue ses mensonges les plus décomplexés sur les personnes transgenres.
Elles affirment que les femmes transgenres sont des hommes qui violent et tuent les femmes en prison. Elles s’appuient pour cela sur un événement isolé. La réalité est évidemment toute autre. Cette année, dans les meurtres recensés, 7 ont eu lieu en détention. Principalement des femmes trans tuées par des co-détenus ou des personnes qui se suicident suite à la transphobie vécue en détention… Les conditions carcérales des personnes trans sont inhumaines. Lorsqu’elles ne sont pas incarcérées dans les quartiers pour hommes, ce qui les expose à d’importantes violences, elles sont mises à l’isolement, “pour leur protection”. Or l’isolement est un procédé punitif dont la privation sensorielle est connue pour ses effets désastreux sur la santé mentale et a été reconnue comme une forme de torture (par la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme).
Les discours TERFs condamnent les familles qui soutiennent leurs enfants en les qualifiant d’irresponsables, les établissement scolaires qui respectent les élèves transgenres sous prétexte que cela représenterait une mise en danger des enfants, mais aussi les médecins qui accèdent aux demandes de transitions médicales, sous prétexte qu’iels démontreraient alors leur affiliation présumée à “big pharma” ou mutileraient des enfants.
Ces théories du complot et la désinformation de masse qui les accompagnent attisent la panique morale à notre égard. Elles nous exposent non seulement à davantage de violence et de discriminations, mais elles nous atteignent aussi personnellement. Comment se sentir légitime lorsque l’on entend dans des émissions de télévision que nous n’existons pas, sur youtube que nous “nous prenons pour ce que nous ne sommes pas”, dans des reportages que nous sommes égoïstes et que nous détruisons nos familles et notre entourage, que nous sommes victimes d’une idéologie sectaire, incapables de prendre des décisions éclairées sur nos propres vies.
Ces discours ne sont pas que le fruit de quelques autrices de livres à succès, ou de réalisatrices et podcasteuses rageuses. Ils sont repris et diffusés dans des journaux de droite et d’extrême droite, dans des associations de parents et montent jusqu’au gouvernement.
La DILCRAH (Délégation interministérielle de Lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les LGBTIphobies) va même jusqu’à prévoir de rencontrer les associations ouvertement transphobes, ce qu’elle n’a (à notre connaissance) jamais fait et ne ferait jamais avec des associations antisémites ou racistes…
Cette violence envahit toutes les sphères de nos vies, y compris lors de moments de fierté communautaire. Un jeune homme transgenre a en effet succombé à ses blessures après avoir été attaqué par un agresseur lors de la Pride de Münster en Allemagne, alors qu’il venait en aide à un groupe de femmes harcelées par cet homme.
En ce jour de recueillement, nous ne pouvons donc pas dissocier notre chagrin de notre colère, notre peine de notre détermination. Nous souhaitons célébrer ces vies qui ont été brisées trop tôt mais également toutes les autres. Celles de nos adelphes les plus vulnérables, les plus isolé-e-s, qui résistent, qui se battent, qui survivent, qui vivent, qui sont.
Nous voulons répéter et affirmer haut et fort que nos existences sont légitimes. L’ignorance des discours anti-trans, les contradictions de leurs argumentaires et leur manque de fondement sont leur honte. Pas la nôtre.
Notre existence n’est pas une opinion et propager des discours de haine à notre encontre non plus.
Nous ne sommes pas responsables de la transphobie et des stéréotypes qui nous affectent. Nous avons toustes notre place sur cette terre. Nous sommes toustes légitimes, dans la diversité de nos genres et de nos corps, dans nos façons de les vivre et de les exprimer, quel que soit notre âge, notre apparence, nos origines, notre état de santé, nos privilèges… Que nous soyions out ou non. Que nos genres soient reconnus ou non. Que ça plaise aux TERFs ou non. 🖕
(les noms surlignés sont les personnes françaises et/ou décédées en France)
Depuis que nous avons réalisé cette affiche, 20 noms ont été ajoutés (pour la même période, soit entre le 1er octobre 2021 et le 30 septembre 2022), dont Alex Bastien, un petit garçon québécois de 10 ans, qui s'est suicidé...
Nos coeurs saignent.
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